ENTRETIEN AVEC GÉRARD GAROUSTE

 

 

 

À l’occasion de la rétrospective consacrée au peintre par le Centre Pompidou,

la revue d’art et de culture  LA PAGE" 

publie un entretien réalisé par Martine KONORSKI

(https://www.revuealapage.com/sommaire)

 

"DANS LA NUIT D'ENCRE ET DE SABLE"
Hors Série des Carnets d’Eucharis
consacré à Edmond JABÈS

une conversation entre

Marcel COHEN, Didier CAHEN, Bernard GRASSET, Marc-Alain OUAKNIN

coordonnée par Martine KONORSKI

 

À l'occasion de la sortie de cet ouvrage 

une "SOIRÉE RENCONTRE" s'est déroulée à

La Maison des Sciences de l'homme (54 Boulevard Raspail 75006 Paris)

organisée par l’équipe d'"Entr’evues" et animée par Yves BOUDIER.

 

Écouter les échanges de la Soirée Rencontre : 

https://www.canal-u.tv/chaines/fmsh/ent-revues/soiree-ent-revues-dans-la-nuit-d-encre-et-de-sable-les-carnets-d-eucharis

 

 

Parution de

 

"JE TE VOIS PÂLE... AU LOIN"

"TI VEDO PALLIDO... IN LONTANANZA"

 

Édition bilingue Vita Activa (Trieste - 2023)

SIGNATURE "ANTHOLOGIE"

 

" SPERANZA "

 

 

Création pour orchestre de Frédéric LIGIER

Le texte du 3ème mouvement, "POUR ARRÊTER LA NUIT",

est un poème de Martine-Gabrielle KONORSKI,

chanté par Laure STRIOLO, soprano

Les 15 et 16 avril 2023 par l'Orchestre d'harmonie de Pantin

à l'auditorium du Conservatoire de Pantin,

sous la direction de Laurent LANGARD

 

https://youtu.be/Y6gKDNDyRlQ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"ADESSO"

EN VITRINE À CHARTRES

LIBRAIRIE L'ESPERLUÈTE (https://www.esperluete.fr/)

ENTRETIENS

N° 13 - février 2022

Accueil > A l’écoute > Entretien-conversation avec Martine-Gabrielle Konorski par Marie-Hélène (...)

Entretien-conversation avec Martine-Gabrielle Konorski par Marie-Hélène Prouteau

Tu as toujours écrit. Écrire pourquoi ? Et pourquoi particulièrement de la poésie ? Qu’est-ce que cela représente pour toi ?

Je crois que l’on ne choisit pas d’écrire, en tout cas pas d’écrire de la poésie. La poésie s’est naturellement imposée à moi, depuis toujours. Sa nécessité se fait impérieuse. C’est un « chant profond » qui vient de l’intérieur, de très loin et qui me traverse. Cette force de l’origine appelée la parole… Le poème vient à moi n’importe où, n’importe quand et l’encre coule sur les pages de mes petits carnets. Je ne sais jamais à l’avance ce qui s’écrira. Ça s’écrit dans un mouvement d’allers et retours entre ce qui est à l’extérieur et ce qui est à l’intérieur de moi. Un peu comme le souffle de la respiration : on inspire, on expire, naturellement.

Mais je crois aussi qu’écrire de la poésie est une manière d’être au monde. Dans son « Petit éloge de la poésie », Jean-Pierre Siméon écrit des lignes qui me semblent très justes : la poésie c’est avant le poème : une position décidée qui est le fondement d’une éthique. Il s’agit d’être exact avec la vie. En effet, il me semble que c’est la seule manière possible de se rendre le monde habitable. En opposition avec la civilisation du divertissement dans laquelle nous vivons et la consommation mondialisée qui fait loi partout. La poésie et son énigme est la vie même. Je dis souvent que pour moi écrire de la poésie c’est aussi naturel que manger, dormir, se laver les dents ou respirer. C’est une évidence qui fait partie de moi. Dans ce livre que je viens de citer, Jean-Pierre Siméon écrit que la poésie nous rapatrie. Je trouve cela très fort. Être présent à soi-même et à plus grand que soi aussi, voilà ce que permet l’écriture de poésie. Faut-il rappeler que Poiêsis en grec veut dire : création. Quel mot plus grand que celui-là et qui contient également la référence sacrée au Créateur, auquel le poète est souvent associé, puisqu’il crée un nouveau langage.

Et puis, pour moi, la poésie est avant tout un espace de liberté absolue. La poésie rend l’impossible possible. Réunir les contraires, faire se rencontrer les vivants et les morts, convoquer en même temps la lune et le soleil, inventer un autre temps, écrire au masculin ou au féminin, traverser des seuils infranchissables… La poésie est aussi et surtout « Le lieu vrai » de l’émotion. Pour Philippe Jaccottet, seul le poète peut transformer ce sentiment en langage. Cette émotion appelée poésie dont parlait Pierre Reverdy. Cela peut s’appliquer aux arts en général (la musique, la peinture…), mais selon moi la poésie est Première, dans le sens où elle nous préexiste. Elle vient sans doute de cet avant-monde dont parlait Edmond Jabès. La poésie incarne l’essence de l’art dans toute sa beauté et son intensité. Elle n’est pas un ornement ou une jolie décoration, comme elle est encore trop souvent considérée. Et tout et n’importe quoi n’est pas poétique. Écrire des poèmes est un acte essentiel, grave et sérieux qui établit une certaine manière d’être au monde. Ce qui n’exclut nullement l’humour. Et si la poésie peut faire rêver elle n’en est pas moins une expérience exigeante, à la fois physique et intellectuelle, qui mobilise le corps, l’âme et l’esprit, dans une perméabilité de l’être à la vie, et qui ne relève pas de la rhétorique et ne peut souffrir ni la fabrication artificielle, ni le procédé, ni les simulacres … Je pense que l’écriture de poésie se fait souvent à l’insu du poète, qui, toutes antennes dehors, et en même temps enraciné au-dedans de lui, devient le capteur extra-sensible du monde. L’acte poétique Premier peut donc être à l’origine de diverses réalisations artistiques car la poésie répond à un absolu non mesurable, non enfermable, inclassable… Avec sa fragilité et sa modestie mais aussi avec la force de ses fulgurances, cette ascension furieuse dont parlait René Char, et son côté visionnaire (le poète voyant de Rimbaud), la poésie est un engagement de la vie (dans la vie) contre la mort.

Dans tes recueils et dans tes textes, ta poésie s’inscrit dans un entre-deux entre le monde solaire de l’enfance et une sorte de déchirure. Peux-tu éclairer cette complexité ?

Il est vrai que dans mes derniers livres je ressens la lumière ambiante du monde comme une lumière qui glace plus qu’elle ne réchauffe. C’est une lumière qui déchire, comme celle de l’éclair. Une lumière blanche de métal et d’acier. Celle de « la nuit de la nuit ». En même temps, seuls les souvenirs de la douceur passée, l’enfance solaire et joyeuse, la mémoire qui nous lie, l’harmonie et la foi dans l’homme, tracent la limite de la nuit qui brûle et nous emporte… Envers et contre toute terreur humaine… En attendant qu’un jour peut-être une lumière s’accorde. La poésie, parce qu’elle nait de cette nuit intime, a ce pouvoir magique de donner au monde un autre temps, une autre permanence, de faire se rencontrer douleur et douceur. Car le monde solaire de l’enfance peut se changer en puits d’inépuisable chagrin. Pour que ce qui était l’or du jadis, l’éblouissante lumière de l’enfance, sa légèreté de lin, s’abîme dans le gouffre brutalement ouvert par la mort, ainsi que l’a écrit Angèle Paoli sur « Instant de Terres ». S’agit-il de complexité ? Je dirais plutôt avec Federico Garcia Lorca que toutes les choses ont leur mystère et la poésie est le mystère de toutes les choses.

L’ombre, la lumière, l’exil, la solitude, la perte sont des thèmes qui traversent tous tes livres. Que peux- tu nous en dire ?

Encore une fois je crois que l’on ne choisit pas ce qui s’écrit. Par contre si être poète est une manière d’être au monde, une certaine sensibilité, une éthique traversent la conscience du monde du poète. Ces thèmes que tu évoques m’habitent depuis toujours. Ils sont propres à ma vie. Pourquoi ? Peut-être la dimension inconsciente de l’écriture est-elle plus forte que tout ? Mais cela revient surtout à s’interroger sur : d’où écrivons-nous ? Lors d’une rencontre de poésie, Anne de Commines avait présenté mon écriture ainsi : A quel nom invisible ? sur quelles cendres, déposons-nous le soir ? par quelle nuit nous appelons-nous ? La poète arpente la poésie avec ferveur, douleur, à paupières éteintes et calligraphie l’empreinte dans un dire de verre… Je crois que ces mots disent bien l’origine des thèmes évoqués. Il n’est pas facile de parler de sa propre écriture. Je crois que ces thèmes, s’ils me sont personnels révèlent aussi un questionnement universel de l’homme, en marche vers ??? et du poète en exil sur la terre. Me reviennent ces vers du poème « L’albatros » de Baudelaire : le poète est pareil au prince des nuées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher. En fait, ce qui me plait plus que tout c’est de danser avec les mots en équilibre sur un fil, en déambulation au-dessus du vide, en route vers l’énigme. Et je crois, plus que jamais, face à la dureté des rapports humains, à la violence des conflits qui déstabilisent le corps social, à l’irruption des technologies dans tous les domaines de nos vies, à la perte de sens qui nous menace, que la poésie es un arma cargada de futuro, (la poésie est une arme pleine d’avenir) comme l’écrivait déjà à l’époque Gabriel Celaya.

Le temps est un thème essentiel, un sujet central dans tes poèmes. Peux - tu développer ce point ? Et éclairer le titre d’un de tes derniers livres « Instant de terres ». Il s’ouvre par cet exergue de Clarice Lispector : (…) si en un instant l’on naît/ et si on meurt en un instant/ un instant suffit pour une vie entière.

Écrire le temps sur un rythme rhapsodique, puisque la poésie permet une autre temporalité, une autre durée est effectivement au cœur de mon écriture. Rien de directement linéaire ou chronologique. L’imaginaire, matériau premier de l’écriture des poèmes, joue ici à plein et transporte dans l’ailleurs d’un hors temps, d’une « géographie en pièces ». C’est dans l’instant du poème, devenu souffle que se créent les conditions pour que se bâtisse un espace au creux de la parole. Un espace à la fois électrique et fragile, seule condition pour pouvoir envisager l’épaisseur du temps (le singulier du mot « instant » étant dès le début, messager de cette épaisseur), a écrit Jean-Louis Bernard sur « Instant de Terres ». Ses mots, sur le livre, sont si justes : Le temps lui est cyclique et flottant, propice aux réminiscences. Ce qui rend l’instant éternel en ce qu’il revient régulièrement. L’éternité n’est donc pas l’immobilité, mais la pérennité du devenir. Elle nous permet d’habiter l’instant qui dure et change. Elle est à la fois l’impermanence et le perpétuel aujourd’hui. Et cette notion nous aide à accepter notre propre humanité, puisque nous ne pouvons être créateurs que de l’instant. Que dire d’autre ? Il pose très finement la notion de « territoire-temps » au cœur de mon travail. Ce temps bachelardien aussi, comme l’a écrit Nathalie Riera dans la préface, celui de « L’intuition de l’instant » (On se souvient d’avoir été et non d’avoir duré), ce flux discontinu où l’instant succède à l’instant dans l’épaisseur du vécu donnerait corps à notre existence. C’est ce temps vertical comme le nomme Bachelard. Ce temps de l’instant qui ne sera plus, toujours réinventé, comme ce pas que l’on fait à l’instant et qui sera unique, comme ce temps de l’écriture qui participe de cet état de l’instant. En contrepoint de cet « instant », au singulier et avec le pluriel de « terres », l’instant poétique se fonde sur l’instantanéité de plusieurs terres. Aussi précieux soit chaque instant, instant unique, il s’épanouit sur différentes terres, notamment celles où l’écriture me charrie. Celles des origines, de l’enfance, des souvenirs, des douleurs, de la joie, de l’amour, des drames, celle de la solitude, des paysages, de la création et de tous les imaginaires. Écrire est toujours un instant de terres.

Écrire avec le temps noué au ventre confirme bien, me semble -t-il, ce dialogue constant avec le vide : « le grand appui du vide ». Un vide qui n’est pas le néant, un vide fécond puisqu’éternellement le souvenir peut s’y inscrire. Une autre mesure du temps qui permet aussi un autre regard sur la lumière et la ténèbre. Une tentative (vaine ?) de recoudre le temps et ses béances, de suturer les saisons. « Je tente d’écrire/ les paroles introuvables/ pour échapper au feu ».

Dans mon récit poétique « Bethani suivi de Le bouillon de la langue » le rapport au temps est autre, étiré sur cette route d’exil dans le désert hostile. Un étirement du temps et de l’espace sous l’effet d’une attente métaphysique mais non moins douloureusement concrète, écrit Emmanuel Moses dans la préface. Et puis, « Le bouillon de la langue » est une méditation douloureuse sur la catastrophe, celle qui a troué le temps et creusé un vide. Ces vers que j’ai écrit me reviennent : « réparer le temps », « réapprendre à regarder par la fenêtre ».

« La vibration ontologique » pour reprendre la formule de Bachelard traverse tes poèmes. Est-ce que cette idée est significative de ton rapport au monde ?

Comment pourrait-il en être autrement ? Là encore je ne choisis pas. Si tu parles ici de l’énergie d’existence théorisée par Bachelard et de la dimension « rythmicovibratoire » de l’homme, alors oui sans doute que j’expérimente cela en écrivant et aussi dans la musique que je pratique. Yves Bonnefoy lui parlait de la blessure ontologique comme lieu de naissance de la poésie. Ceci me parle également car j’ai vraiment l’impression, en écrivant, que la création se fait dans la faille, dans les interstices, dans cet entre-deux dont tu parlais, lorsque l’on est suspendu au-dessus du vide et que l’on déambule dans les profondeurs de l’être… toujours au bord du gouffre entre terre et ciel. Si on parle de vibration et de rythme, très important dans mon écriture, je dirais que celle-çi commence dans le corps, car parfois notre corps sait des choses que notre esprit ignore… et puis traverse l’oreille. Lorsque je me trouve en « état d’écriture », l’acuité de l’écoute et de l’observation entre en résonance avec l’ailleurs, l’inattendu, avec tous les possibles. C’est un certain rapport au monde.

Dans Instant de terres, plusieurs textes font l’objet de dédicaces à des poètes disparus ou contemporains. Est-ce là l’indication d’une filiation ?

Lire et écrire sont inséparables. Les rencontres magnifiques, par la lecture, avec les grands aînés poètes, sont fondatrices, essentielles. C’est un compagnonage permanent, fidèle, quotidien. Pour les poètes contemporains cela se double de la possibilité de la rencontre vivante, en chair et en en os, de la magie de l’échange et de la découverte de l’Autre à travers son écriture, par les lectures, les critiques… Ce sont tous des poètes avec lesquels je suis en conversation régulière. Et il y en a beaucoup d’autres, français ou étrangers car la poésie n’a pas de frontières. Mais ce qui nourrit mon écriture est divers. Je lis aussi des romans, essais, nouvelles, études, du théâtre. Les concerts, l’opéra, le cinéma, les musées, les voyages sont également des nourritures essentielles. La poésie est au carrefour de tout.
Etienne Faure a une belle expression. Il parle de mailles et maillons et dit que l’on écrit dans une langue qui a déjà une histoire. Je partage ce point de vue car on n’écrit pas depuis « nulle part ». Nous appartenons à cette chaîne humaine et culturelle qui nous constitue. Tout poète dit-il est une maille, un maillon de cette chaine d’écriture qui varie selon les lectures et l’histoire de chacun…

Dans tes livres, la place de la mémoire individuelle et collective semble ouvrir sur l’Histoire et la tragédie du 20ème siècle. Tes textes se situent-ils dans une sorte de transmission nécessaire ?

La poésie est pour moi une parole de résonance, de mémoire et d’échanges. C’est une aventure humaine au cœur de la vie, la vie même. Ce que j’écris en tant que poète me semble donc s’inscrire nécessairement dans un continuum marqué par l’Histoire. Ce qui s’écrit à partir de soi, de son vécu, de sa mémoire, de ses origines, de sa culture, de ses souvenirs, de ses joies ou de ses drames, ce que l’on appelle simplement son histoire personnelle fait aussi partie de l’Histoire des hommes. Oui, dans une telle perspective le questionnement permanent sur la barbarie et les tragédies passées et actuelles, ce qui détruit l’homme, me hante. Ainsi, Instant de Terres et Une lumière s’accorde poursuivent mon questionnement sur les relations humaines et les commotions de l’Histoire, amorcé dans « Je te vois pâle… au loin ». J’y interroge les rapports humains et plus particulièrement l’aveuglement qui peut conduire à l’horreur absolue.
Finalement, j’écris parce que la poésie est ma conscience du monde. Écrire des poèmes c’est pour moi s’inscrire dans l’Histoire et résister à l’oubli, à l’ignorance, à la médiocrité, à l’érosion de la culture. Jacques Copeau disait : Dans un monde d’insignifiance, de bassesse, de cabotinage et de spéculation, ne vous contentez pas de votre mécontentement. Écrire des poèmes me permet de pénétrer dans les méandres de l’inexplicable et de l’ailleurs, de voguer entre le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible, l’audible et l’inaudible… Faire que hier et demain puissent se rencontrer. En ce sens certainement la parole poétique fait œuvre de transmission car elle s’inscrit comme fondement pour supporter l’Histoire.

L’art de la chute caractérise aussi tes poèmes. Qu’est ce qui se joue là ?

La chute d’un texte qui clôt un poème est pour moi particulièrement importante. Elle est sans doute aussi la condensation encore plus grande du dire de la parole poétique. Elle est placée à la fin mais représente une ouverture, un nouveau commencement. Rien n’est jamais vraiment achevé. Il est vrai que j’y apporte un soin très particulier. Je me dis même que parfois l’ensemble des chutes d’un livre pourrait constituer de nouveaux poèmes. Et cet art de « tomber juste » relève un peu pour moi d’un exercice de trapèze volant. C’est le saut dans le vide, la joie mêlée à la peur du grand vertige pour finalement retrouver l’équilibre. Dans la chute du texte c’est pratiquement la vie et la mort qui s’affrontent.

Tes poèmes se présentent souvent comme des suites musicales et révèlent un rapport privilégié chez toi avec la musique que tu pratiques par ailleurs. Peux-tu nous parler de ce lien entre poésie et musique et aussi des créations que tu réalises au théâtre ?

Il me plait de résumer ce lien que tu évoques par un de mes vers : « J’ai rêvé des histoires aux couleurs de musique ». En effet, pour moi la dimension sonore de la poésie est essentielle, elle est même à l’origine de son existence. Par ailleurs, je pratique le piano depuis l’enfance et également le chant. Il était donc naturel que se noue un dialogue harmonique entre la poésie et la musique. Ainsi j’ai créé l’association « Poésiephonies » pour réaliser des créations au théâtre qui permettent la mise en résonance, la correspondance pour tracer l’itinéraire d’un voyage entre deux univers : celui d’un poète et celui d’un musicien.
En 2018, « Accords » voit le jour, au théâtre Les Déchargeurs. J’ai voulu jeter des passerelles entre les sons et les silences, entre les vivants et les morts, entre mon travail et celui de la comédienne et de la pianiste, entre les cultures (de la France et de l’Espagne), et finalement entre les interprètes et les spectateurs.
Entre la densité de la parole poétique et l’intensité de la musique, dans une pulsation qui frôle parfois la syncope, c’est la complexité du monde et de l’être qui s’expriment. C’est ce que j’ai souhaité faire en créant « Accords », à partir de « Je te vois pâle … au loin » et de « Une lumière s’accorde », en résonance avec la musique de Federico Mompou. Un travail sur le silence habité. Mallarmé n’écrivait-il pas que c’est à la poésie d’écrire le silence. A la recherche de la matière sonore originelle, c’est de cette vibration du silence que vient la force de l’accord entre la parole poétique et la musique. C’est le vertige et l’incandescence qui transforment les mots en lumière et en musique. Une liberté furieuse de paroles et de sons.
« Dans le sillon des paroles le matin ouvre l’œil pour arrêter la nuit ».

En février 2022, le travail dans ce sens se poursuit avec la création de « Bethani : lecture pour percussions et voix », au théâtre du Nord-Ouest. Ici c’est mon récit poétique d’exil dans le désert, la parole d’un rêve de sable, qui entre en résonance avec les sons évocateurs d’une composition musicale inédite et vibratoire de peaux frottées, bols tibétains, cloches et autres instruments. La comédienne incarne cette marche, une anabase vers un lieu qui serait en quelque sorte l’être même, l’être de la poésie, ou l’être comme poésie, ainsi que l’écrit Emmanuel Moses dans la préface du livre. A travers cette création, autour de l’errance, de cette épopée d’espoir et de désespoir, de folie et de détermination, d’un rêve de nomades en mal de terre, j’ai souhaité que le tissage des mots du poème avec les instruments et les cantilations vocales offre un voyage pour garder en mémoire ce qui a été traversé, même si l’histoire évènementielle efface les traces de son furieux passage. « Bethani, survivre à l’effacement ».
Partager la poésie le plus largement possible est pour moi important. C’est ce que je tente de faire sur scène, par ces créations, entre poésie et musique, au théâtre, dans des lieux où la poésie résonne.

Tu viens de publier « Adesso », une ballade italienne, des proses poétiques en hommage à Pasolini. C’est nouveau par rapport aux poèmes que tu écris jusque - là ?

« Adesso », est né lors de mes voyages en Italie, particulièrement dans les Pouilles et lorsque je me suis retrouvée sur les traces de Pier Paolo Pasolini écrivain, poète mais aussi cinéaste notamment à Matera, où il avait tourné « L’évangile selon Saint Mathieu ». Ces instantanés en prose se sont écrit le long des rivages italiens que connaissait bien Pasolini, dans cette langue que je parle, ces paysages et cette ambiance si particulière qui coulent dans mes veines depuis toujours. Comme l’écrit très justement l’éditrice, Blandine Longre-Stubbs, cette ballade italienne s’ancre dans un ici topographique et un maintenant (cet « adesso » italien) qui renvoie à celui de l’écriture et au présent qui s’accumule de René Char.
J’aime particulièrement l’écriture de textes-fragments. Je suis toujours aussi attentive au rythme du texte, cette expérience permet aussi la condensation, propre à l’écriture poétique, mais, comme toute prose, requiert un équilibre différent entre le sens et le son. Ici c’est l’œil, et non l’oreille, qui guide le récit. A partir du réel, l’imaginaire aussi fait son œuvre. La grande poète Kathleen Raine ne disait-elle pas que notre monde est réel parce qu’il est la création de l’imagination humaine.
Mais je crois que dans ce livre comme dans « Instant de Terres », l’éphémère et son tragique planent comme une ombre. L’écriture de textes-fragments m’intéresse aussi beaucoup car je vois ces textes un peu comme des morceaux de fresques d’un autre temps restées par miracle intactes et accrochées à un pan de mur… témoignages du temps, de la vie qui passe.
En fait, toujours ce rapport au « territoire-temps », ici sous la forme d’une ballade (au sens musical), à travers une succession d’évocations, de sensations, de figures, d’atmosphères, de paysages et de saveurs comme des tableaux ou des plans de cinéma, séquences qui oscillent entre le tangible et l’insaisissable comme il est écrit dans la présentation du livre.

Et s’il fallait conclure…

Je dirai que dans le bruit et la fureur du quotidien, c’est par l’écriture de poésie que je continuerai d’arpenter le monde pour dire sa beauté et sa misère, pour semer quelques pincées d’infini sur la route de l’exil pour rejoindre les étoiles. J’aime à me souvenir ce qu’écrivait Elias Canetti : les intuitions des poètes sont les aventures oubliées de Dieu.

Extraits de poèmes joint à l'entretien : https://www.terreaciel.net/Entretien-conversation-avec-Martine-Gabrielle-Konorski-par-Marie-Helene#.Ygt1au7MIWp

SIGNATURES, LECTURES...

 

 

 

 

 

Extraits de la lecture du texte de

 

"BETHANI"

 

donnée par

Maud RAYER (lecture)

Frédéric LIGIER (percussions et voix)

au Théatre du Nord Ouest (Paris)

le 3 février 2022

https://youtu.be/pl0hGWH_Nnw 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"ADESSO"

en librairie

 

 

 

 

 

 

 

Marché de la Poésie

Paris

octobre 2021

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